Le corps joyeux: extraits de « Femmes qui courent avec les loups » – Clarissa Pinkola Estès

Mes lectures m’ont amenée tout récemment à ces extraits que je vous partage, qui résonnent avec ce que j’ai déjà dit du corps et ce que je sens de lui…

« Dans la psyché instinctive, on considère le corps comme un réseau d’informations, un messager comportant un très grand nombre de systèmes de communication – cardiovasculaire, respiratoire, osseux, autonome, sans parler des émotions et des intuitions. Dans le monde de l’imaginaire, c’est un formidable véhicule, un esprit qui vit avec nous, un hymne à la vie en soi. Dans les contes de fées, le corps, personnifié par des objets magiques jouissant de qualités et de capacités surhumaines, est censé avoir deux paires d’oreilles , l’une pour entendre dans le monde extérieur, l’autre pour être à l’écoute de l’âme ; deux paires d’yeux, l’une pour la vision normale, l’autre pour la clairvoyance ; deux types de force, la force musculaire et la force invincible de l’âme. Et la liste n’est pas close.

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Le corps parle plusieurs langues. Il s’exprime par sa couleur, sa température, le rouge aux joues de la reconnaissance, le halo de l’amour, la teinte cendreuse de la douleur, la chaleur de l’excitation, la froideur du manque de conviction. Il s’exprime par sa danse légère et permanente, ses balancements, ses tremblements, les bonds du coeur, les hauts et les bas de l’humeur, et la montée de l’espoir.

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Ce conte est riche d’images qui nous permettent d’imaginer ce qu’est vraiment un corps plein de vie. Il décrit, comme d’autres histoires similaires, les pouvoirs fabuleux que recèle le corps, ceux de l’intuition, de la pénétration, de la guérison sensorielle et de l’extase. Nous avons tendance à considérer notre corps comme cet « autre » qui fait en quelque sorte sa petite affaire sans nous et qui, à condition d’être correctement « traité », nous permettra de nous « sentir bien ». Beaucoup de gens traitent leur corps comme s’il s’agissait d’un esclave, ou le traitent bien mais lui demandent néanmoins de suivre leurs caprices comme s’il était un esclave.

On dit que l’âme informe le corps. Pourquoi ne pas imaginer un moment que le corps informe l’âme, qu’il l’aide à s’adapter à la vie du monde extérieur, fait pour elle l’analyse grammaticale et la traduction, lui donne la feuille de papier, l’encre et la plume pour que l’âme puisse écrire sur notre vie ? Supposons que le corps soit un dieu, un maître, un mentor, un guide. Serait-il sage, dans ce cas, de châtier ce maître qui a tant à donner, tant à enseigner ? Avons-nous envie de laisser les autres, notre vie durant, juger et dénigrer notre corps ? Avons-nous la force de les renvoyer dans leurs buts et d’être à l’écoute du corps en tant qu’être fort, qu’être sacré ?

L’idée que se fait notre culture du corps en tant que sculpture et rien d’autre est fausse. Le corps n’est pas de marbre. Son but est de protéger, de contenir, de soutenir, d’enflammer l’esprit et l’âme qu’il renferme, d’être un reposoir pour la mémoire, de nous remplir de sensations – c’est la plus haute forme de nourriture psychique. Il est là pour nous élever, nous propulser, nous prouver que nous existons, que nous avons un poids et un sol sous nos pieds. On se trompe en le considérant comme un lieu qu’il faut abandonner pour s’élever vers l’esprit. Sans le corps, on n’aurait pas l’impression de franchir des seuils, de s’élever, d’être délivré de la pesanteur. C’est lui qui nous le fait ressentir. Le corps est la fusée de lancement et dans le nez de cette fusée l’âme, éblouie, contemple par le hublot la nuit constellée d’étoiles. »